Transmission d’entreprise : le mur générationnel qui menace le capital productif français



Jeudi 27 Novembre 2025
Anton Kunin

Jamais la question de la transmission d’entreprise n’a été aussi stratégique pour le capital productif français. Pourtant, malgré des dispositifs publics existants et un gisement colossal d’entreprises à céder, la mécanique reste grippée, freinée par la psychologie des dirigeants, l’insuffisante préparation patrimoniale et un financement encore sous tension.


La transmission d'entreprise, un risque macroéconomique sous-estimé pour l’appareil productif

C'est une étude qui confirme ce que beaucoup d’investisseurs, banquiers d’affaires et dirigeants pressentaient déjà : la transmission d’entreprise est entrée dans une phase critique. D’ici 2030, ce sont 370.000 entreprises qui devront changer de mains. Pourtant, en 2024, seules 26.000 entreprises d’au moins un salarié ont effectivement été transmises, révélant un décrochage inédit entre l’offre potentielle et la capacité réelle du marché à absorber ces opérations, peut-on lire dans cette étude de Bpifrance Le Lab publié le 27 novembre 2025.

Le premier enjeu dépasse largement les trajectoires individuelles. La transmission conditionne désormais directement la pérennité de dizaines de milliers d’emplois et la continuité de savoir-faire stratégiques. Au rythme actuel, seulement 130.000 transmissions pourraient être réalisées sur les cinq prochaines années. Autrement dit, près des deux tiers des entreprises identifiées comme cessibles resteraient sans repreneur à moyen terme.

Cette inertie porte un risque macroéconomique tangible. Le gisement est en effet massivement concentré dans les très petites entreprises, avec 310.000 TPE concernées, mais aussi 58.000 PME et 1.200 ETI. Or, ce segment constitue l’ossature du tissu productif des territoires. L’absence de transmission fluide entraîne mécaniquement des fermetures, des délocalisations ou des cessions opportunistes à faible valeur ajoutée industrielle, ce qui affaiblit durablement la base entrepreneuriale nationale.

Le facteur humain, premier verrou de la transmission

Contrairement à une lecture strictement financière, le blocage principal reste largement psychologique, qui se manifeste par un manque de préparation. En effet, d'après les données de Bpifrance Le Lab, 70% des dirigeants qui envisagent une transmission dans plus d’un an n’ont engagé aucune préparation concrète. Cette résistance au passage de relais s’explique par plusieurs phénomènes cumulatifs : confusion entre patrimoine personnel et outil de travail, difficulté à se projeter hors de l’entreprise, crainte de perdre son statut social.

Le risque est particulièrement aigu dans les entreprises familiales. Selon l’Observatoire de la Fondation MMA des Entrepreneurs du Futur publié le 17 novembre 2025, 47% des dirigeants âgés de 60 à 69 ans n’ont toujours pas formalisé de plan de succession. Chez les dirigeants de plus de 70 ans, cette proportion atteint encore 36%.

À cette inertie s’ajoute un effet de masse : près de 500.000 entreprises pourraient être confrontées à un changement de gouvernance dans les dix prochaines années. Dans ce contexte, la transmission devient un enjeu patrimonial autant qu’un enjeu industriel. Faute de préparation, nombre d’opérations se font dans l’urgence, souvent à un prix dégradé, avec une perte de contrôle stratégique pour les familles fondatrices.

Le financement, nerf de la guerre pour les repreneurs

Côté repreneurs, le verrou est clairement identifié : il s'agit d'un financement insuffisant. Avec la hausse des valorisations post-crise sanitaire, l’inflation des coûts de production et les exigences accrues des établissements bancaires, l’effet de ciseau est brutal pour les projets de reprise. Pour répondre à cette fragilité, Bpifrance a lancé en 2025 le plan Transmission PME-ETI, avec un nouveau levier central : le Prêt Croissance Transmission, permettant de financer jusqu’à 5 millions d’euros une opération. Ce dispositif vise à sécuriser la phase la plus critique de la reprise, lorsque les fonds propres du repreneur ne suffisent plus à absorber le prix d’acquisition et les besoins de trésorerie post-cession.

Un marché encore trop opaque pour fonctionner efficacement

Au-delà des facteurs humains et financiers, la transmission reste freinée par une opacité structurelle du marché. L’information circule mal, les mandats sont parfois dispersés, les plateformes publiques restent sous-utilisées, et le bouche-à-oreille continue de dominer dans de nombreux secteurs. Résultat : l’asymétrie d’information entre cédants et repreneurs alourdit les délais, augmente le taux d’échec et tire vers le bas la qualité des projets.

Cette désorganisation nourrit également les tensions sur les prix. Selon les données de Bpifrance Le Lab, 19% des cédants citent l’absence d’offre de reprise comme frein, tandis que 18% jugent les prix proposés insuffisants. L’écart de perception entre valeur patrimoniale et valeur économique devient ainsi un facteur de blocage à part entière dans la transmission.

​Une équation stratégique désormais incontournable pour les investisseurs

Pour les fonds d’investissement, les family offices et les banques d’affaires, la transmission est devenue un champ d’opportunités aussi vaste que risqué. La profondeur du marché est inédite, mais l’instabilité des dossiers, l’impréparation juridique et la vulnérabilité financière des repreneurs imposent une sélectivité accrue.

Dans ce nouveau cycle, la transmission n’est plus seulement un acte de fin de parcours entrepreneurial. Elle devient un actif stratégique, une opération de capital à part entière, qui conditionne la compétitivité de l’économie française sur les dix prochaines années. Le véritable enjeu n’est donc plus de savoir si la transmission va s’imposer, mais à quelle vitesse le système économique sera capable d’absorber cette vague générationnelle sans destruction massive de valeur.








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